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Des bribes en marge de ma vie

Einstein et l'homme au costume à rayures noires

21 Juin 2016 , Rédigé par Saïd Houcine Wakrime

La conversation a été introduite en marocain, pour de suite, donner son ton à la rencontre :

Ahlane! Ahlane! Ahlane!

L’intonation de sa voix m’a renvoyé quelques années en arrière. Il s’efforçait, appuyait les mots et sentait l’hypocrisie.
Je ne connaissais pas l’énergumène qui me faisait face et il ne m’inspirait rien qui vaille.
A sa façon de vouloir m’être agréable, il me révulsait et me faisait reprendre mes réflexes comme du temps où l’intrusion d’un inconnu suffisait à couper court à toute conversation.

- Pas de politique …

C’était le temps où les agents des forces auxiliaires détenaient un pouvoir équivalent à celui du KGB. On fuyait leurs regards et on ne cherchait jamais à le soutenir si nos yeux se croisaient.
La matraque qui pendait.
Les menottes qui tintinnabulaient au rythme de la marche chancelante cherchant un vendeur ambulant à détrousser.
Les brodequins noirs toujours cirés en haut mais qui ne brillaient plus tellement ils étaient encrassés par la poussière et la gadoue.
Le béret jauni par le soleil et la misère. . .
et surtout, surtout cette odeur qui …

C’est Curieux.
Comment un agent des forces auxiliaires pouvait avoir une odeur ? C’est certainement notre imagination fertile qui nous renvoyait vers l’arrière pays d’où les agents étaient presque tous originaires.
Ca puait la bouse fraîche et les crottes de chien.
Non pas les crottes de chien.
Les crottes de chien n’avaient pas d’odeur ou tout au moins c’est ce que j’en avais gardé comme souvenir.

M’RDA.
D’où leur pouvait venir ce sobriquet qui leur collait si fort à la peau ? Cela voulait il signifier MERDE de l’espagnole mierda ? Où est ce peut être cet insecte si petit et fragile mais oh combien nuisible par les temps de la disette ?

- Tu nous a fait attendre l’ami.

Il me considère déjà son ami.

Plus il cherche à se rapprocher de moi, plus je m’éloigne de lui.

- Tu sais. Il n’y a qu’une préfecture ici. Donc, il n’y a qu’un bar qui porte le nom de Bar de la préfecture. Et c’est celui ci.
J’ai fais le tour du quartier pour voir si vous n’étiez pas ailleurs, alors je t’en prie. C’est plutôt vous qui m’avez fais attendre.
Il avait l’air surpris par la froideur de mes propos. Je me suis forcé de les rendre glacials pour le mettre à distance. Je ne voulais pas qu’il m’imprègne de son odeur perfide.
Il sentait M’rda et cela me donnait la nausée.

- Pour moi ce sera un café madame. Merci

Il ne parlait plus. Il tambourinait sur son portfolio avec un peu de nervosité. Je commençais presque à regretter d’être venu à ce rendez-vous d’autant plus que j’avais une conférence de presse dans quatre vingt dix minute.

- Comment vont les affaires ?

Salah qui m’a mis dans cette histoire m’adressa la parole pour la première fois.

- Ca peut aller.

Puis deux tables plus loin :

- Assis Einstein.

Une belle brune caressait son clébard en lui intimant l’ordre de rester assis. Elle me jeta un regard sympathique et se retourna vers la chope de bière qu’elle vidait à petites gorgées.
Ah la relativité.

J’avais l’impression que cela faisait une éternité que nous étions là. C’est toujours ainsi lorsqu’il s’agit de chose que l’on s’impose.
Est ce vraiment par hasard que cette brune s’est trouvée dans ce bar à ce moment précis ? Est ce encore le hasard qui a fait que son chien porte le nom de l’une des plus belles histoires de l’humanité ?

"Le hasard, c'est Dieu qui se promène incognito." Dixit Albert …

Du coup je me suis mis à penser à cette énigme qu’ A. Einstein a lancé au début du siècle dernier. Il disait que 98% des gens étaient incapables de la résoudre.

J’y suis parvenu.
Je fais partie des 2% restant.
Je suis l’élu
.

« Il y a cinq maisons de 5 couleurs différentes.
Dans chaque maison vit une personne de nationalité différente.
Chacun des 5 propriétaires boit un certain type de boisson, fume un certain type de cigares et garde un certain animal domestique.
… Qui a le poisson ?

… pour résoudre l ‘énigme…
L'Anglais vit dans une maison rouge.
Le Suédois a des chiens comme animaux domestiques.
Le Danois boit du thé.
La maison verte est à gauche de la maison blanche.
Le propriétaire de la maison verte boit du café.
La personne qui fume des Pall Mall a des oiseaux.
Le propriétaire de la maison jaune fume des Dunhill.
La personne qui vit dans la maison du centre boit du lait.
Le Norvégien habite la première maison.
L'homme qui fume les Blend vit à côté de celui qui a des chats.
L'homme qui a un cheval est le voisin de celui qui fume des Dunhill.
Le propriétaire qui fume des Blue Master boit de la bière.
L'Allemand fume des Prince.
Le Norvégien vit juste à côté de la maison bleue.
L'homme qui fume des Blend a un voisin qui boit de l'eau. »

Je discutais de la théorie des jumeaux avec Einstein. Il m’expliquait à l’aide d’exemple comment deux parfaits jumeaux peuvent se retrouver à l’instant T ; l’un trois mètres sous terre depuis des dizaines d’années, alors que l’autre n’a pas même atteint l’âge de 20 ans.
Le porte costume à rayure me fit redescendre sur terre avec son maudit portfolio :

- … et là, on peut mettre des écrans géants pour transmettre les conférences.

Je suis redescendu de chez les morts juste lorsque le malodorant refermait son portfolio.
Si je pouvais, je l’aurais transféré du côté des trous noirs. Ceux qui avalent jusqu’à la lumière des étoiles.

- Ce conard serait capable de se prendre pour une étoile.

Il me parlait d’un salon de l’immobilier qu’il projetait d’organiser. Il avait besoin que je l’introduise auprès de certains politiques pour appuyer son projet.
- Comme si nous étions encore dans les années de plomb – me disais je.
Incapable de me rappeler ce qu’il m’avait montré, je m’étais limité à lui dire :

- S’il te plaît ne me parle plus jamais comme tu fais là. Je mange, tu manges … C’est un langage qui me rappelle les années de braises. Ca pue.
- Oh excuse moi. C’est juste pour …

Je mis fin à la discussion :

- c’est juste pour dire que si je peux, je donnerai un coup de main pour faire avancer ton projet. Mais je ne suis pas là pour demander ma part. Je le fais, si je peux, pour Salah. Ok ?

Je ne le connaissais pas.
Il me répugnait.
Je le détestais.
Il me faisait gerber.
Je n’aimais pas son costume à rayures qui remontait à l’époque de Borsalino.
Je n’aimais pas sa cravate avec ce nœud si gros qu’on le croirait tout juste descendu du fin fond de la campagne.
Je n’aimais pas son accent ni marocain et pas du tout français.
D’ailleurs je n’aime pas les gens qui roulent les R.
Je n’aime pas les gens qui n’ont pas le courage de dire ce qu’ils pensent et veulent sans l’enrober dans la guimauve.
Je n’aime pas la mièvrerie.
Je n’aime pas les gens qui savent tout… sauf Einstein.

Je me suis levé et approché d’Einstein. Il était toujours aux pieds de sa brune de maîtresse.

- Pourquoi l’avez vous appelé Einstein ?
- Il s’appelait déjà comme ça quand je l’ai adopté.
- Il a de la chance.
- Pourquoi dites vous ça ?
- Vous ne voudriez pas m’adopter ?
- Retirez au moins votre alliance. Ce sera mieux pour drague
r...

Elle souriait. Etais ce une invitation à la débauche ?
Je fis des caresses à Einstein qui devait chercher encore à démêler les équations de notre univers. Mais c’est à sa maîtresse que je pensais.
Salah et son ami se levèrent et le porte costume à rayures s’approcha du zinc pour régler les consommations.
Je ne cherchai même pas à faire semblant de vouloir régler la note.
Je m’en fichais complètement car je savais que je ne le reverrai plus. Ou plutôt, je savais qu’il ne me reverra plus.
Einstein leva le museau pour me lécher la main. Il ouvrit grande sa gueule. J’aperçu ces beaux crocs d’une immaculée blancheur.
Il se leva. S’étira puis répondit à nouveau à l’ordre de sa maîtresse.

- Assis Einstein.

En m’éloignant vers la sortie, je déposai ma carte de visite sur la table.
La belle brune la regarda un instant avant de la prendre et la glisser dans son portefeuilles qu’elle sortit de son sac à main.
Je la regardai sourire et lui fit un clin d ‘œil comme je n’en avais plus fais depuis que j’ai emballé ma femme.

- On se téléphone.
- Quand tu veux salah. Passe le bonjour à Eric et dis lui que j’attends toujours son
mail. Quand il veux
.

En s’éloignant vers la bouche du métro, le porte costume avait disparu de ma mémoire.
Seule l’image d’Einstein et de sa brune de maîtresse occupait mon imagination. Ils étaient tous deux de cette même couleur chaude et satinée. Couleur d’abysse avec un parfum remontant du centre du paradis.
Une odeur de…
Quoi déjà ?
L’odeur que me rappelait l’énergumène est celle du poisson pourri.
Tiens ! Poisson !
Comme l’animal qu’a l’allemand.
Oui.
C’est l’allemand qui a le poisson.
L’allemand !
Celui de l’énigme d’Einstein.

Lyon Juin 2008

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