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Des bribes en marge de ma vie

Chamelier

21 Juin 2016 , Rédigé par Saïd Houcine Wakrime

La voix lourde et sèche de Batma raisonne près de là où coule le mythe. Colorado. Le nom vibre telle un arc caressant les cordes tendues d’un vieux Ribabe.

L’eau apparaît et disparaît au grès de l’humeur du ciel où s’amusent quelques condors. L’envergure infinie de leurs ailes leur donne de la majesté et procure un respect indescriptible.

Omar s’approche, tire sur son cigare et s’assoit tout près de Batma. Paco tapotant sur son sentir devance Allal qui a du mal à accorder son banjo.

- Où est Boujmi’ ? demanda le condor

- Seul toi tu peux nous le dire rétorqua Paco

Boujmi’ sourit dans le ciel. Il est accompagné de sa majesté Abdessalam A’mer toujours aussi beau et chic dans sa djellaba blanche. Ils étaient chacun sur une aile, et l’immense condor fit des loopings sans que ni l’un ni l’autre n’expriment une quelconque peur.

Retiens tes chameaux, oh chamelier

Nous sommes des hommes racés,

élevés dans l’aisance

Nos yeux se sont habitués au beau

Et tu es laideur

Tu n’es que poudre dans les yeux

Nos cœurs parlent le langage de l’amour

Ton cœur est de pierre

Retiens tes chameaux… oh chamelier

Par le passé,

Nous avons porté la Soie…

Nous nous en sommes débarrassés

Nous avons vu la beauté …

Nous l’avons dédaignée

Nous avons connu l’amour…

Nous n’en avons pas voulu

Nous avons côtoyé la justice…

Et nous l’avons adoptée

Alors ne viens pas nous écraser.

Retiens tes chameaux oh chamelier.

La brume du matin est encore fraîche.

Je sorts de la voiture et contemple la beauté pure. Je me crois un instant faisant partie d’un plan séquence tourné par … Jhon Ford, Sauf que ma voiture de location contrastait avec l’époque de ce mont du cinéma mondial.

Mon fils insista longtemps avant de me faire changer d’avis et de prendre ce Crossfire qui incarnait l’Amérique à ces yeux.

Chrysler.

J’aurai aimé une Lincoln.

Aussi bien sur l'asphalte brûlant de la Route 66 que sur les autoroutes, le Crossfire nous permit, malgré l’étroitesse de l’habitacle made in sport, de découvrir les USA avec la sensation de rouler seulement à quelques centimètres de la chaussée tellement la voiture est basse.

J’oublie un instant la voiture, le lecteur MP3, le pilotage automatique, la climatisation pour me laisser absorber par la majesté du décor :

Un paysage tel que mon œil n’en a jamais vu. Une étendue désertique à l’infinie et au milieu une balafre qui laisse deviner la profondeur du canyon à côté duquel les gorges de Toudra font figure de miniature.

Tonton, le collarado est plus vieux que l’homme me disait mon neveu américain.

La couleur ocre du désert de l’Arizona me rappelle Marrakech. Je m’amuse à deviner les Navajos cavalant derrière un cow-boy ou l’inverse. Le silence aidant, mon esprit m’amène loin dans le temps où les blancs exterminaient les rouges pour s’accaparer leur terre.

Je vois par ci par là des cadavres qui jonchent le sol. Des indiens qui n’ont pour seule arme que des flèches. Mais que peuvent les flèches si aiguisées soient elles contre la poudre magique et mortelle des fusils ?

Soudain, un pleur me parvient de derrière un buisson. Un pleur blanc qui laisse deviner que l’humanité compter une orpheline de plus.

Non loin de l’endroit où s’était cachée la blondinette, une robe longue souillée de sang, laisse deviner le cadavre de la mère qui baigne dans une mélange de sang et de sable, que les eaux du Colorado ne tarderont pas à effacer de la surface de la terre.

Un enfant Navajo regarde la fillette et l’invite à venir le rejoindre derrière la charrette abandonnée. Un piano droit se trouvait encore à bord et le rouge et la blanche se mettent à pianoter un air qui ne m’est pas étranger. La maman quitte sa robe terrestre et se hisse vers Boujm’i.

- Enchanté de vous connaître madame. Je vous présente Batma. Le poète

- Pouvez vous me chanter l’hymne à la joie messieurs.

- Si cela vous fait plaisir madame.

Allal leur crie d’en bas :

- Si je joue mal, dites le. Je n’arrive pas à accorder ce satané Banjo.

- Je vous donne le LA cria la blondinette de derrière le piano ?

Omar caresse le Bendir et tambourine quelques notes. Paco, de derrières ses tresses longues fait danser le cuivre qui pend au Sentir.

- Balance moi le Hdjldhoudj –cria Boujmi’ de la haut

Abdessalam A’amer se sent un peu déboussolé. Il n’a pas joué ses rythmes gnaoui même si l’air lui parlait.

- Professeur –l’interpella Boujm’i- Seul toi pourras nos mettre au diapason.

- Et comment fils ?

-Tu es à même de marier l’impossible. Tu synchronises. Tu tailles. Tu ajustes. Tu sais…

Le Condor déposa les deux artistes auprès de la dame blanche. Elle est à présent transparente. La saleté et la puanteur du corps terrestre l’ont abandonné à jamais. Désormais elle est ange.

Elle parle de Beethoven et de symphonie. A’amer entendait bien la chose. Seul lui l’aveugle pouvait voir ce que transmettait la musique d’un Sourd.

- Ah ce cher Ludwig van Beethoven. Vous parlez de la neuvième madame ? La Neuvième Symphonie en ré mineur, Opus 125, composée par Beethoven entre 1822 à 1824. Il la dédia à Friedrich Wilhelm III, roi de Prusse. Elle fut interprétée pour la première fois à Vienne le 7 mai 1824.

Beethoven avait construit sa symphonie en ajoutant à la fin du quatrième mouvement une Ode à la Joie. L’idée du chœur… Il y songeait depuis 1807. Et nous voilà entrain d’en parler dans l’Arizona en… Quelle année sommes nous déjà ?

Les Européens aurait adopté la 9° comme hymne fédéral. Ils l’auraient rebaptisée « hymne à la joie »

La dame blanche prit la main du professeur. Ils se dirigèrent vers le chariot sur lequel la blondinette et le rouge s’étaient installés. Par terre, une caisse éventrée laissait apparaître un cahier d’écolier vieilli par la force de l’âge.

Elle saisit le cahier, l’ouvrit à la page sur laquelle étaient transcrits quelques vers et le tendit au professeur :

Joie discrète, humble et fidèle
Qui murmure dans les eaux
Dans le froissement des ailes
Et les hymnes des oiseaux.
Joie qui vibre dans les feuilles
Dans les prés et les moissons
Nos âmes blanches t'accueillent
Par de naïves chansons.

Tous les hommes de la terre
Veulent se donner la main
Vivre et s'entraider en frères
Pour un plus beau lendemain,
Plus de haine, plus de frontière,
Plus de charniers sur nos chemins
Nous voulons d'une âme fière
Nous forger un grand destin

Que les peuples se rassemblent
Dans une éternelle foi
Que les hommes se rassemblent
Dans l'égalité des droits.
Nous pourrons tous vivre ensemble
La charité nous unira
Que pas un de nous ne tremble
La fraternité viendra.

Joie immense, joie profonde,
Ombre vivante de Dieu
Abats-toi sur notre monde
Comme un aigle vient des cieux.
Enserre dans ton étreinte
La tremblante humanité
Que s'évapore la crainte
Que naisse la liberté

Joie énorme, joie terrible
Du sacrifice total
Toi qui domptes l'impossible,
Et maîtrises le fatal ;
Joie sauvage, âpre et farouche,
Cavalière de la mort,
Nous soufflons à pleine bouche
Dans l'ivoire de ton cor.

Joie qui monte et déborde,
Tu veux nos cœurs ? les voilà.
Et nos âmes sont les cordes,
Où ton archet passera
Que ton rythme nous emporte
Aux splendeurs de l'Eternel
Comme un vol de feuilles mortes,
Que l'orage entraîne au ciel.

Batma, Boujmi’, A’amer, la dame blanche et la blondinette se retirèrent vers l’horizon laissant Allal, Omar et Paco seuls avec le jeune indien navajo.

Relisant les vers de l’hymne à la joie, Omar songea un moment à Boujmi’.

Aurait il eu vent de ce poème pour que son écriture soit si inspirée se demanda t il.

Il pensait à Mahammouni…

Seuls me préoccupent les disparus

Si les foyers tombent en ruine, nous en rebâtirons d’autres

Seuls m’inquiètent les enfants malades et affamés

Si nos plantes meurent, venez. Plantons des arbres.

Et si le potager sèche et que sa menthe noircisse.

….

La suite. Vous la connaissez. Mais Omar confond Mahammouni et Ya Banil Inssan.

Lyon 2008

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