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Des bribes en marge de ma vie

Elle et Lui

16 Octobre 2018 , Rédigé par Saïd Houcine Wakrime

Elle et Lui

D'abord. D'abord. 
Il y a LUI. 
Le père. 
Il a toujours voyagé librement dans l'éternité de son monde imperceptible aux yeux des autres.

Puis, il y a ELLE.
La mère. 
Elle a défait et refait les ruelles de Derb Sultan.  Née à Marrakech et aînée d'une fratrie de trois filles et un garçon, elle portait ses tresses noir-charbon et son accent comme l'étendard d'une résistance passive en fréquentant l'école publique à l'heure où la femme n'était qu'une machine à procréer ... 

ELLE et LUI partageaient la même rue et habitait non loin l'un de l'autre et se croisaient tous les jours sans qu'elle n'ait senti son béguin pour elle.

Lui vivait dans la même pièce que son frère déjà marié et père de trois enfants.
ELLE vivait dans celle de ses parents avec ses trois frère et sœurs.

Un jour, mon futur oncle, le frère de mon futur père demanda la main de la fille de mon future grand père. 
ELLE et LUI devinrent mes futurs parents. 

Analphabète. 
LUI avait besoin d'ELLE.  
Tant que je n'existais pas, et avant que je n'ai pris la relève, elle lui lisait et transcrivait les écrits. Tous les écrits. 
Qu'ils soient rédigés dans langue du Coran ou dans celle de Molière, ma mère était la voix et la plume de mon père. 

LUI s'en s'enorgueillissait et s'en vantait au point que la maison se transformait en bureau d'écrivain public.
Des hommes et femmes étrangères se relayaient dans notre deux pièces pour se faire déchiffrer ou écrire des lettres. Nous étions au centre de leurs vies. Nous savions tout ce qui agrémentait leur existence.
Du coup, ELLE  devint le garde-secrets. La DAME DE CONFIANCE. 
On savait tout :
L'enfant malade. 
La seconde épouse qui prenait ses aises. 
La bru qui manquait de respect. 
La vache qui a perdu son veau. 
La fille à marier pour se prémunir des médisants. 

Nous savions tout car ma mère  mettait noir sur blanc ce que les voisins et connaissances de mon père transmettaient aux correspondants lointains  :
De : Untel 
À : Un tel fils d'Untel
Village untel
Commune untel
Cercle untel
Maroc. 
.... 


* M’mi. Pourquoi on est enfermés ?
Intrigué, j’interpellais ma mère.
Nous étions enfermés dans la chambre à coucher dont l'unique fenêtre donnait sur la cour de la maison ouverte sur le ciel. 
Je regardais par les carreaux de la moitié haute de la fenêtre. Un inconnu blanchissait les murs de notre maison en l'absence de mon père occupé à maintenir allumées les étuves de l'usine.

ELLE, occupée comme à son habitude, répondait comme d'habitude :

* Tu vas bientôt pouvoir sortir. Soit patient mon cœur. 

L'autre pièce faisait office de salon, de chambre d'invités, de salle de télévision... 
Elle sera aussi ma chambre à coucher à partit de l'âge où ma présence dans la chambre des parent commença à gêner les choses de la vie. 

Mon père était de l'équipe du jour. Les murs de la maison avaient besoin d'être rafraîchis et il ne voulait pas, attendre encore. 
Laisser entrer un étranger chez lui en son absence et en présence de ma mère était déjà hors normes.
Premier défi lancé par LUI à une société encore traditionnelle car les us et costumes régissaient solidement un Maric à peine sorti de la Siba. L'anarchie et la loi du plus fort. .
Non seulement il lui arrivait de sortir habillé en short certes long, mais se permettait de laisser entrer un étranger chez lui en son absence.

La tradition. 
Les costumes. 
Les principes religieux... 
J'ai encore en mémoire les cris et pleurs d'une voisine corrigée par son mari pour avoir regardé par la fenêtre à visage découvert.

Le mari qui refaisait le monde avec ces  voisins s'était retrouvé nu lorsque le visage de sa femme avait rempli la fenêtre à la vue d'autres hommes.
Elle ne portait ni voile ni foulard.

Le mari qui frappa sa femme à coup de ceinturon assura ses voisins de son autorité et rappela sa dominance et sa vérité bestiales par la même occasion. 
Pour clore l'incident, il acheva son travail en rasant les cheveux de la malheureuse pour que toutes les femmes du quartier en soient informées.

Il est L'HOMME.

 

D'ailleurs, toutes celles que j'ai entendu commenter l'événement approuvaient le geste du mari :
Elle n'a plus de cheveux ! Bof disait l'une. Ils vont pousser dans quelques semaines.

Une autre surenchérissait :
Avec le foulard, on ne voit pas qu'elle a où pas de cheveux... 
...
Nous vivions dans un deux pièces avec jardin et patio ouvert sur l'univers. 
LUI tenait absolument à avoir son jardin pour que j'aie mon aire de jeu. 
C'était peut être les résidus de son enfance de berger dans le Sousse qu'il quitta à l'âge de 16 ans.

Lorsqu'il décréta son indépendance une fois marié, il opta pour une maison avec jardin

Notre maison  devint notre propriété des années plu tard avant d'être vendue pour déménager dans un quartier un peu moins populaire.
Mon père estimait que sa belle fille méritait mieux que le quartier Jawadi. 

LUI quitta son sud pour rejoindre le Casablanca de son aîné. 
Pure Amazigh issu d'une civilisation post islamique, mon père est l'homme libre que même les montagnes n'arrêtent pas. Il refaisait souvent son enfance dans le sud en ces termes :

Le matin ici.
L'après-midi là bas.

Et à la tombée de la nuit au village pour recommencer le lendemain et les autres jours de la... vie disait il. 

Il était le second d'une fratrie de quatre. Orphelins très tôt, ils ont été élevés par mon grand père et... toutes les femmes du village. 
TAGADIRTE est composé d'une seule et unique famille dont le fondateur avait pris refuge dans la petite pièce transformée en chambre mortuaire. 
Tagadirte
Le grenier.  Diminutif d'Agadir, Tagadirte porte pleinement son nom.  Hissé au sommet d'une petite montagne, le village domaine la plaine. 
Le fondateur devait maîtriser son environnement car il  fuyait la vengeance d'une famille qui le poursuivait pour avoir tué l'un des leurs.

Nous sommes les arrières petits enfants d'un assassin.

Il devait alors veiller à identifier toute silhouette qui s'approchait dans cette forêt d'Arganiers. 
Amazigh. 
L'homme libre dont les ancêtres occupèrent la montagne devant l'envahisseur arabe venu les islamiser. 
Le nombre à fini par vaincre et l'islamisation arabisante à gagné. 
La reine Dahiya fut vaincue et assassinée par un chef musulman qui estimait certainement avoir été souillé en croisant le fer avec une... femme. 
Chez eux, on enterrait vivants les bébés nés filles avant que la religion portée par Mohamed ne mette fin à cette honte. 

Chez l'Amazigh, la femme était reine. 

Notre ancêtre fonda une communauté et construisit un village dont la particularité est d'être composé d'une seule et unique branche. 
Il avait reproduit la genèse. Il était l'Adam de son Eve.  

Nos femmes se marient et partent. Nos hommes cherchent épouse en dehors de TAGADIRTE.
Nous sommes saints de corps et d'esprit.

Lui était à l'usine.
Il faisait les trois fois huit et une semaine sur trois se levait à trois heure du matin, prenait sa monture mécanique et partait gagner notre croûte.
Provocateur né, j'ai hérité de lui ce goût énervant à la contestation tous azimuts pour, parfois, souvent, le plaisir de juste prolonger les discussions.

LUI et moi avons appris la lecture et l'écriture en même temps car ELLE avait compris dans les rues de Derb Sidna qu'en dehors de l'instruction point de salut. 
Grace à ELLE, LUI et moi sommes devenus deux écoliers âgés l'un de trente ans et l'autre de quatre. 
Le quotidien ALMOUHARRIR et l'hebdomadaire ALMCHAHEDE devinrent nos livres de lecture. 
Mais je suivais seul le cours de français.

Mon père devait estimer que le peu de mots qu'il connaissait en français suffisait et que la langue arabe seule pouvait lui donner le statut qu'il visait depuis avant la création du monde : Amazigh.
L'homme cultivé.
... Et cultivé, mon père l'était jusqu'à la lie. Plusieurs années plus tard, alors que nous étions quelques amis et moi entrain de réviser un chapitre d'histoire pour passer notre bac, il fit une entrée impériale comme le il savait le faire et surprit toute la troupe :
- Alors comme ça Bouhmara est un fou. Qui vous a appris cette ânerie ?

Nous étions sur le pont de décrocher notre bac et voilà qu'un analphabète venait nous apprendre l'histoire.
Mes amis avaient beaucoup de respect pour mon père. Ils échangeaient souvent sur des sujets divers et variés, et surtout contemporains.
Sa culture générale issue de journaux et de magazines et parfaite par son addiction aux radios d'information arabes et arabophones l'a hissé au rang de source incontestable.
Moi. Il me plaisait de lui tenir tête pour le pousser dans ses retranchements.
Mais moi, j'étais son fils.
J'étais déjà LUI.

Y. , avant l'entrée magistrale de mon père nous expliquait qu'un certain Bouhmara était comme son surnom l'indiquait, un clochard qui agitait le peuple partout où il passait. 
D'ailleurs, ne continue-t-on pas à traiter les imbéciles de Bouhmara ? 

Mon père droit et prenant toute la porte de son corps petit mais plein :

- Juste parce qu'il se surnomme Bouhmara, le voilà fou, clochard !
Savez-vous pourquoi il porte ce sobriquet dégradant à vos yeux d'ignorants ?


Y. baissa les yeux.
Il maintenait que ce personnage de l'histoire cachée du royaume était un agitateur couplé à un fou simple esprit.

- Rogui Bouhmara est Rogui L'HOMME A L’ÂNESSE car il se déplaçait souvent à dos de son baudet.
Et savez vous ce qu'il transportait sur son ânesse 
Des livres.
Des livres. Ce qui vous manque bande d'apprentis porteurs de culottes.
C'est l'un des premiers vrais agitateurs politiques qui a monté le premier coup d'état contre le palais.
Et juste parce qu'il est l'homme à l'ânesse il devient fou, clochard...
Dites le à vos professeurs de la fin du monde.


Après ça il quitta la pièce après nous avoir plombé l'après midi.

Je jouissais secrètement de ce moment unique où même l'éjaculation lente et longuement préparée devient RIEN.

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